La chronique Facebook d'And They're Off : Américain et Louise

Américain avec Louise Zuili
Qu'est-ce  que c'est, être proche d'un champion ? Connaître son odeur, son  hennissement, ses sauts d'humeur et d'enchantement. Moi, vous, nous tous  passionnés, sommes saisis par l'effort délibéré, par le don, par le  courage, par l'investissement du cheval de course. Nous connaissons du  champion son palmarès, son présumé avenir, les interdits espoirs. Nous  sommes tristes dans leurs défaites, mais les  aimons davantage dans leurs faiblesses. On se les approprie, on les  admire, on les soutient. Mais que savons-nous d'eux ? Que savons-nous de  leur joie, de leur peine, de leur état mental ? De leurs manies, de ces  gestes qui rassurent ? Le champion, avant tout, n'est qu'un cheval. Un  cheval qui a des moyens, et la générosité de les utiliser. Un champion,  comme tout autre cheval, a des secrets. Pour le comprendre, pour le  connaître, pour l'apprivoiser, il faut vivre à ses côtés. Louise Zuili,  cavalière d'entraînement chez Alain de Royer Dupré, a la clef de  certains secrets. Depuis quelques années qu'elle a trouvé sa voie chez  son maître d'apprentissage, Louise Zuili a côtoyé bien des chevaux, et  bien des champions. Elle sait d'eux, bien plus que je n'en saurai  jamais. Et mieux que quiconque, elle parle de son champion. De celui qui  lui a appris à s'ouvrir au monde, à grandir, et à se remettre d’emblée  en question. De celui qui lui a fait adorer son métier, qui fut la  promesse de joies à venir. De celui qui, grâce à elle, face à elle,  devenait une icône nationale, et un mythe phénoménal. Américain, héros  de la Melbourne Cup 2010. Héros d'un peuple hospitalier, héros de tous  les passionnés, héros de Louise Zuili, la première à l'aimer. Américain,  en arrivant en France, avait atterri entre ses mains. Elle n'avait pas  l'expérience de certains, mais elle avait su se faire une place, et  montrer sa valeur. Lui, transportait bien des bagages. Il avait fait le  plein, en quelques soubresauts de carrière, en expérience de vie.
Lui, il avait connu la jeunesse chez M. André Fabre, sous la casaque  Wertheimer. Il avait appris son métier en deux minutes. De l'ouverture  des stalles jusqu'au passage du poteau, il ne lui avait fallu que d'une  centaine de foulées pour passer du joli et frêle poulain d'America, au  solide athlète que la victoire saisissait déjà. M. Fabre, aussitôt, lui  avait fait confiance. L'homme avait accroché ce semblant de lueur, que  le cheval-même ne supposait pas encore. Il lui fallut du temps, pour  apprivoiser ses capacités. Du temps, pour se révéler. On le testait sur  des distances progressives, à l'abri des regards, au niveau des Listed,  et espérait son éclosion, le jour du Grand Prix de Paris. Ce n'eut pas  lieu. Mais Américain se révélait profond. Le premier virage de sa  carrière, celui qui joua tout son avenir, allait pouvoir débuter. Le  poulain découvrit un monde plus serein. Le rythme doux des départs, le  temps accordé à l'emplacement, le temps de prendre son souffle, de  ressentir ses jambes, et l'étendue de ses capacités. Le temps des  stayers, ces chanceux qui savent profiter ! Américain avait quatre ans  lorsqu'il remporta officiellement son premier groupe. Le Prix Vicomtesse  Vigier, groupe 2, à Longchamp. Au loin, une cloche tintait. Il était  temps, l'heure du changement.
Saratoga. Le mot tombe, aussi  lourd que le plomb. Un monde, si différent, si captivant. Un monde  méconnu, si inquiétant. Sous les yeux de Todd Pletcher, collectionneur  de groupes, révélateur de talents, Américain ne fournit pas ce miracle,  cette progression tant attendue. L'expérience fut brève. Pourtant,  Dynaformer, son père, était un enfant du pays. Arazi, son aïeul, avait  vécu, jeune, l'aventure et en était sorti grandi. America, qui lui avait  donné la vie, avait elle-même, pour un essai infructueux, tenté  l'odyssée. Le cheval a cinq ans. Il revient au pays.
Acheté par  deux australiens, Américain quittait les espoirs de la famille  Wertheimer et se tournait, son sourciller, vers l'horizon de la  Melbourne Cup. Sollicité dans ce but, Alain de Royer Dupré accueillait  en ses boxes ce cheval qui manquait de s'épanouir. Le pansage se fit  doux, les caresses appuyées et sincères, le travail agréable. Louise  Zuili découvrait Américain. Elle observait l'étalon, imposant par ses  515 kg, qui retrouvait sa sérénité dans le calme, et qui, bien assez  vite, la surprenait à se révéler. Vivant, il aimait avoir de la place,  et savait s'imposer. Au moment intime du pansage, il manifestait son  intérêt, mordillant son amie, sans agressivité, par amusement, et par  besoin de cette complicité. Une fois dehors, il devenait le patron. Vif,  motivé, galvanisé, il en oubliait parfois sa cavalière qui, bien que le  laissant s'affirmer, était parvenu à établir cet accord, que seuls  eux-deux comprenaient. Un jour, il répondait à sa voix, visiblement en  joie. Et sur les pistes, il explosa. Les succès affluent, l'espoir  s'intensifie. Gagnant de groupe à Deauville, il s'envole vers l'objectif  Melbourne Cup. Accompagné dans son périple par Stéphanie Nigge, qui se  voyait responsable de son avenir, il absorba sans faiblir les quelques  trente heures de vol, l'attente de la quarantaine, la peur et  l’excitation de son amie, et resta lui-même, plus que jamais.  L'adaptation semblait plus évidente pour l'un que pour l'autre. Louise  Zuili dut se soumettre à la politique australienne, aux mesures  d'hygiène draconiennes, contraignant ses habitudes. Mais l'enjeu  galvanisait l'équipe, et Américain gagna la Geelong Cup. Favori du Grand  Prix, un sabot planté dans l'Histoire de l'Australie, il ne pouvait  plus reculer. Dans le calme, du mieux qu'elle put, Louise Zuili garda en  elle le stress et l'excitation d'une telle pression. Les journées  étaient cadrées, rythmées par le travail pulmonaire et musculaire du  matin, cadencées par l'entretien de la forme, et du mental du précieux  cheval. Américain remporta la Melbourne Cup. Premier français à réaliser  l'exploit, il franchissait le mythique poteau de Melbourne, de ses  foulées miraculeuses. Au milieu de la charge, entouré de nombreux rêves à  quatre jambes, ce fut lui le plus fort. Lorsque ce fut l'heure de  vérité, So You Think, arrachant la voix du peuple, se montrait cheval du  siècle. Lauréat de deux Cox Plate, prodige de l'élevage, il avait  enchaîné, sans faiblir, sa seconde victoire dans l'épreuve de Moonee  Valley, une préparatoire inappropriée, et s'était présenté dans  l'épreuve reine, seulement trois jours après. Trois jours, pour dompter  l'exploit. Américain l'effaça. Invincible, il contournait l'adversité,  s'allongeait le long des flancs du jeune miracle désabusé, et, sans  trembler, sans faiblir, arrachait la pelouse de ses sabots, dynamitant  son corps hors de porté des assauts. Le poteau, couperet pour la gloire,  faisait de lui, immédiatement, un enfant d'Australie. Américain se  titrait en lettre d'or. Son flegme manifesté sur les clichés, se  diffusait dans le monde entier. Sa robe baie, taillée de près,  scintillait au 20h comme une étendue de poudre du bonheur. Louise Zuili,  frôlant la douceur des naseaux blanchis, exultait, le travail accompli.  Elle n'avait que dix-huit ans. La majorité lui apprenait à croire en  ses rêves, et à croire en la vie. Le passage par le Hong Kong Vase  renforça les esprits, et le quotidien repris. La remise en jambe, tandis  qu'il atteignait les six ans, fut abrupte et parfois inquiétante.  Américain ne dominait plus, mais restait objectif. Le doublé se tentait.  Moins d'un an après son dernier déplacement, l'animal retrouvait la  terre de ses exploits, et sa couronne attitrée de roi. Tenant du titre,  pionnier chez les français, il avait attiré les convoitises, et les  rêves de succès. Auréolé d'une large victoire dans la préparatoire,  Américain pénétrait les portes de Melbourne, conquérant du premier jour.  Lorsque son meilleur cavalier, Gerald Mossé, lui demanda la réplique de  son accélération passée, le cheval lui offrit. Mais, se retrouvant, par  la force des choses, tellement loin du combat, tellement loin des  débats, cela ne suffit. Dunaden, qui avait saisi le scénario, partait du  centre du peloton, et au combat, relevait le menton. Red Cadeaux, qu'un  souffle inaudible avait tiré loin de sa cible, se vengeait à Sha Tin,  douze mois après. Américain, quant à lui, avait remonté l'importante  cavalerie. Franc, offrant sa hargne au peuple, il échouait dans un  miraculeux doublé, mais terminait si près, si motivé. Deux semaines  après, resté sur le sol australien, le cheval retrouva l'expression de  ses moyens. Vainqueur à Sandown, un nouveau virage se dessinait. Ce fut  sans lui que Louise Zuili retrouva les écuries. L'étalon, qui avait  trouvé sa voie sur les pistes en herbe de l'hémisphère sud, devenait  pensionnaire de David A. Hayes. Il soufflait sa septième bougie. En  trois sorties publiques sous son nouvel entraînement, Américain ne put  remporter le moindre groupe 1. L'absence de sa complice, de l'odeur  fraiche et reposante de Chantilly, de la douceur de ses mains, et de  celles de Gerald, tout n'était plus que souvenir. Bien heureux, il  retrouva la France. L'objectif, placardé sur son front comme une  inévitable vocation, revenait à la charge. La Melbourne Cup, sa course,  son titre, sa ligne directive. Deauville ne lui fit pas retrouver ses  jambes de poulain, le voyage vers l'ultime épopée non plus. Dunaden,  affalé sur le trône, remportait la Caulfield Cup. Américain, déshérité,  se contentait de se placer. Et vint la course de l'année. Damien Oliver,  nouveau cavalier, lui offrit le parcours qui l'avait consacré. Mais  Américain n'appréciait pas le terrain. Ses jambes, qui avaient soutenu  tant de combats, tant de distance, tant de fatigue accumulé, ses jambes,  refusèrent de se donner. Onzième. L'effort est présent, le résultat  déroutant. Américain fait ses adieux au peuple passionné, à la  compétitivité, à Louise Zuili, son soutien primordial et son moteur sur  ces quelques fantastiques dernières années. Américain ne prendra pas  l'avion. Un nouveau paysage se crayonne autour de lui. Les prairies  d'Australie, verdoyantes, et fleuries de croupes à sa merci, électrisent  l'étalon qui devient un homme, et un père averti.
Ce jour où  Louise Zuili croisera le chemin d'un de ses fils, elle sera fière. Fière  d'avoir grandi. Fière d'avoir participé à l'accomplissement d'un  champion, fière d'avoir cru en lui. Elle se rappelle de Stéphanie Nigge,  assistance de l'entraîneur, qu'elle évoque avec respect. Cette femme,  lancée dans l'inconnu, qui supporta tout le poids sur les épaules, avec  brio. Cette femme, qui lisait dans Américain, et qui soutint tous ses  instants en Australie. Cette femme, qui guida Louise Zuili dans la  confiance à travers cette mystérieuse folie. A Stéphanie Nigge, Louise  Zuili dit : "merci".

 
		
